Embarquement... discret, si possible {avec Jack Aubrey}

Le docteur Stephen Maturin accorda un signe de tête rapide en réponse au salut distant que lui avait accordé les marins. Il était habitué à cette ambiance étrange... Beaucoup d'entre eux le respectait. Il avait su faire ses preuves, même s'il n'était pas là depuis longtemps, mais les trois vie qu'il avait sauvé durant leur première traversée avait suffit à gagner la sympathie d'une partie de l'équipage. Malheureusement, pas celui de tout le monde. Et ces trois hommes là étaient des "hommes de Sullivan" comme disait Jack. Et tout un chacun ici savait parfaitement que, le docteur étant proche du capitaine, il n'tait pas spécialement apprécié par certains membres de l'Etat major.

Mais peu lui importait à vrai dire. Et même, pour une fois, Stephen les aurait presque remercié de cette indifférence glaciale. Au moins, il n'allaient pas se mêler de ses affaires... Ni risquait de tout compromettre en venant lui parler et aisni risquer de découvrir... ce qu'il était en train de faire, je ne vais quand même pas vous mâcher le travail en vous révélant tout directement.

Le docteur avança donc jusqu'à son infirmerie comme si de rien n'était, encombré comme souvent de plusieurs paquets plus ou moins encombrant. Et d'où rien ne dépassait, bien entendu. Mais au dernier moment, il bifurqua vers la cabine qu'il partageait avec Jack, et s'y glissa le plus discrètement possible, jetant au préalable un coup d'oeil pour s'assurer que Killick ne s'y trouvait pas. Non. Parfait. La voix était donc libre.

Sur la pointe des pieds, enfin autant que le lui permettait ses semelles de plombs, Stephen se dirigea vers le lit de Jack et y glissa son paquet toujours couvert. Voilààààà... quelle meilleure cachette que sous le lit de celui qui ne devait absolument pas trouver ce paquet? c'était juste, le paquet passait à peine, mais au moins, vu comment la couche du capitaine était fixé au sol, en cas de tempête ou de forte vague, ça ne bougerait pas... Et u la poussière qu'il y avait ici, malgré toute la maniaquerie de Killick, l'endroit, fort heureusement, ne devait pas être souvent nettoyé.

Fort de ces constatations, Stephen déposa encore quelques objets avec son paquet puis se redressa, afin d'aller ranger vite le reste de ses affaires dans son infirmerie, et revint ensuite encore plus vite à la cabine...

Le lieutenant Sullivan avait beau être une peste au regard méprisant et au sourire cynique, il faisait bien son travail et respectait la hiérarchie, sinon celui qui l'incarnait . Jack Aubrey était de basse extraction aux yeux de ce fils de grands bourgeois et parent de maints ministres de Sa Gracieuse Majesté . Toutefois Jack Aubrey était son capitaine . Le respect n'est pas indispensable au travail en équipe, dans une marine bien organisée . C'était tout de même une ambiance pénible pour Jack au bout d'un moment ... il n'était capitaine que depuis quelques mois et si l'équipage s'était rendu à l'évidence de ses mérites, quoiqu'il ne les ait encore démontrés qu'en matière de navigation et non dans la bataille, ses officiers restaient plus sceptiques sous leurs oeillères fournies par le club . Il prit donc, au bout d'un quart d'heure à superviser la manoeuvre, le parti de les laisser travailler avant qu'ils ne commencent à lui faire sentir par allusions qu'ils n'avaient plus besoin de sa présence sur le pont . La vérité, c'est que Jack déteste les allusions . Ce n'est pas exactement sa langue maternelle .

Il sauta donc sur le premier prétexte, en l'occurence les autorités du port qui souhaitaient lui faire signer le formulaire d'embarquement, pour fuir le navire avec autant d'enthousiasme qu'il y était monté un peu plus tôt en Angleterre, lorsqu'il avait eu l'honneur d'être nommé à ce grade prestigieux . Maintenant, quand il le regardait de loin, il reconnaissait que ce navire était sur le point de rendre l'âme et qu'on ne lui avait pas fait un cadeau en le nommant à sa tête . Il gardait cependant la tête haute et ce sourire confiant qui n'appartenait qu'à lui . Ce n'était même pas du bluff ; il était intimement convaincu qu'il était appelé à faire de grandes choses .

''Vous avez besoin de la signature de l'amiral ?''

Après avoir convaincu ses yeux de se désécarquiller, Jack chercha des yeux un matelot à envoyer fouiller sa cabine . Il devait avoir un ordre de manoeuvre de son supérieur quelque part dans un tiroir . Mais il répugnait à en confier la clé à un inconnu, si seulement le docteur avait traîné dans les environs ... quoiqu'il n'aurait sans doute pas apprécié de se faire envoyer en quête d'un papier comme un vulgaire domestique . Jack pria le secrétaire de la capitainerie de bien vouloir l'attendre, et rebroussa chemin vers son bien-aimé navire, avec une grimace de résignation .

Jack a aussi des défauts . Le principal pour l'instant étant d'entrer sans frapper . En même temps, c'est le maître à bord, on comprend qu'il se sente en droit de mener une inspection surprise à peu près n'importe quand et surtout dans sa propre cabine ... même si par un complexe concours de circonstances, il la partage avec un énergumène qui a tendance à s'y livrer à d'incompréhensibles activités . Il passa donc la porte sans se poser trop de questions, et commença à le faire quand il réalisa que la porte était ouverte avant son arrivée .

Se retournant, il vit disparaître au bout du couloir le docteur précédemment cité, les bras chargés de tout un matériel ordinairement destiné à son infirmerie, où il se rendait apparemment . Par quel miracle sortait-il tout ça de leur cabine ? Haussant les épaules - il avait depuis longtemps renoncé à tout comprendre - Jack se mit à la recherche de son ordre de manoeuvre . Naturellement, rien en vue . Killick, le matelot chargé de l'entretien de la cabine, avait dû le ''ranger''. Jack se lança donc dans une fouille détaillée des moindres recoins de cet espace exigu et allait regarder dans une boîte qu'il ne se souvenait même pas avoir cachée sous son lit, quand la porte se rouvrit à l'improviste . Il sursauta et lâcha la boîte puis se releva, rassuré : ce n'était que Stephen . Il avait vraiment l'air bizarre, on aurait dit qu'il avait essayé de courir avec ses semelles de plomb . Jack le salua d'un ''alors, content de retrouver la vie à terre ?'' pas le moins du monde ironique, avant de retourner à ses préoccupations d'ouverture de boites .

Stephen dû passer en quelques secondes par toutes les couleurs possibles et imaginable par lesquels un être humain peut passer. Non...Pas ça ! Pas maintenant ! Pas sa précieuse boîte !!

Heureusement, pour le moment, l'habitant de cette chère petite chose ne semblait pas encore réveillé. Et Jack ne semblait pas avoir remarqué les nombreux petits trous de la boîte. Avec une rapidité et une dextérité qui l'auraient lui même surprit s'il avait prit le temps de s'y arrêter un peu, Stephen se précipita vers Jack et lui arracha la fameuse boîte des mains.

_N'y touchez pas ! Est-ce que je vais fouiller dans vos affaires, moi ?

Le ton était plus angoissé qu'énervé, et Stephen s'éloigna rapidement avec SA boîte, l'ouvrant juste assez pour en vérifier le contenu, et la referma tout aussitôt avec un petit soupir de soulagement.

_Qu'est-ce que vous faisiez avec ça dans les mains ?

Le médecin de bord se tourna alors vers son capitaine, oubliant toutes les bonnes manières dont il était censé faire preuve envers lui.

_Et puis qu'est-ce que vous cherchiez d'abord ? Vos affaires ne sont pas assez parfaitement rangé pour que vous ayez besoin de chercher dans les miennes ?

Oui, Stephen était d'une mauvaise fois impressionnante, que bien entendu jamais il ne reconnaitrait. Mais allez lui faire comprendre, vous, que Jack n'était pas devin et qu'il ne pouvait pas savoir qu'il ne fallait pas qu'il touche à "ça" si personne ne le lui avait dit... Et comme toujours quand Stephen était inquiet, qu'il se sentait mal ou diminué, il reportait tous ces maux en une agacement agressif. Et vu que Jack était là... Je vous jure qu'il fait même pas exprès. Quoi que... Etait-ce de sa faute à lui, après tout, si la bonne humeur constante du capitaine l'irritait à ce point?

Le capitaine Jack Aubrey ne répond pas aux sarcasmes . Non pas qu'il les ignore superbement, ou je ne sais quelle autre stratégie : il ne sait pas comment on fait, tout simplement . Tout ce qu'il voyait, c'est qu'il avait touché aux affaires de Stephen et que ça ne lui plaisait pas . Les petites disputes habituelles d'une colocation houleuse, rien de plus, il ne voyait pas là de quoi monter sur ses grands chevaux . Il y laissa donc Stephen et répliqua pour sa part le plus calmement du monde :

''Je cherche mon ordre de mission, si vous savez où il est je vous serai reconnaissant de m'en informer .''

Ses yeux s'étaient attachés un instant à déterminer la nature du précieux paquet qui lui avait été arraché si jalousement, mais ce n'était pas son souci principal, il y reviendrait plus tard . Il devait d'abord faire son travail, et la seule idée qui pouvait l'en distraire pour l'instant était le regret de voir Stephen si méfiant et asocial envers lui, alors qu'il avait vraiment eu l'impression que cette traversée commune les avait rapprochés, au point d'instaurer quelque chose qui commençait à ressembler à de la confiance . Il se sentait un peu comme un soigneur d'animaux sauvages qui vient de se faire mordre la main par son fauve préféré . Tiens, en parlant d'animaux sauvages ... Non, il n'aurait pas osé .

''Bon, je crois que j'ai ce qu'il me faut . Ayez l'amabilité de rester là, je reviens . Il y a une question dont j'aimerais vous entretenir avant que nous ne levions l'ancre ...''

Fronçant un sourcil soupçonneux, il passa à côté du médecin en essayant d'apercevoir un peu mieux la boîte qu'il protégeait toujours . L'irlandais était célèbre à bord pour ses diverses manies et notamment ses caprices zoologiques, et même sa grande frayeur des étendues marines n'avait pu le dissuader de jouer les naturalistes chaque fois que le navire s'était trouvé à proximité d'une forme de vie encore non étudiée par la science ou à défaut, par son éminente personne . Quelle créature improbable était-il encore allé se procurer au marché local ? Jack craignait le pire, d'autant que l'équipage ne voyait pas toutes les incursions animales d'un très bon oeil, et qu'il n'avait peur que d'une chose : qu'une mutinerie lui tombe sur la tête .

Pour l'heure, on l'attendait sur le quai et il en eut pour plusieurs minutes de formalités pointilleuses au possible . Il était fréquent que son jeune âge et ses manières ... disons approximatives, sèment le doute chez ses interlocuteurs quant à ses capacités à diriger un navire de sa Majesté, si miteux soit-il . Lorsqu'il se fut enfin débarrassé de tout ça, il regagna d'une traite sa cabine dans la simple intention de se reposer un peu, sans prêter la moindre attention à l'agitation environnante . C'est seulement en passant le seuil qu'il se souvint de Stephen et de la boîte . Pourquoi fallait-il toujours que cette cabine soit le théâtre de situations aussi bizarres ? Celle de Sullivan n'était pas loin et à ce qu'il en savait, tout y était toujours parfaitement normal ...

Bien loin des considérations et questionnements de Jack, Stephen avait profité du départ de son capitaine pour fermer la porte de la cabine après avoir déposer sa précieuse boîte sur la petite table de la pièce. Il revint ensuite, s'asseyant sur une des chaises qui se trouvait là, et rouvrit la petite cage. la créature qu'elle contenait commençait à se réveiller... La petite créature pointait son museau frémissant, bougeant une oreille, commençant à remuer doucement...

Sans s'en rendre compte, Stephen eu un sourire. Bon, ok, un petit sourire, mais un sourire quand même. Il hésitait à le sortir pour commencer tout de suite ses observations, mais une petite voix dans sa tête lui soufflait que c'était une mauvaise idée.... Jack ne tarderait sans doute pas à revenir, et il ne fallait pas qu'il prenne de risques inutiles. Glissant de quoi nourrir son nouveau sujet d'études dans la boîte de ce dernier, Stephen sursauta en entendant la porte de la cabine s'ouvrir.

Déjà? Et bien, il avait fait vite !! Refermant la boîte d'un coup sec, Stephen prit l'air le plus dégagé possible pour demander :

_Et bien, vos formalité sont réglées ? Nous pouvons reprendre la mer ?

Stephen avait dit ça de manière totalement détachée. Il aurait alors dû se rendre compte que ce n'était pas la manière la plus simple pour éviter les questions. Jack le connaissant maintenant au moins un minimum, il n'allait sans doute pas tarder à s'étonner du fait que Stephen n'essaye même pas de trouver un moyen de prolonger leur escale. Car aux dernières nouvelles, Stephen et la mer n'étaient toujours pas en ce qu'on pouvait appeler du bon terme...

Le moindre détail de cette scène était suspect . Jack ne savait même pas par où commencer . Enfin si Stephen avait apporté un fauve rare à bord, ou un serpent comme la dernière fois, il fallait qu'il le sache avant d'être au large . ( Il était beaucoup trop taquin avec les serpents ; il avait laissé croire à Jack que celui-là était venimeux, et le capitaine lui en gardait une dent . ) Au large on n'avait que deux options, en passer par les quatre volontés du docteur et garder son horrible petit protégé, ou se débarrasser du bestiau et s'attirer les foudres de la personne dont il souhaitait le moins s'attirer les foudres à bord . D'une part parce que Stephen avait la santé de tout le navire entre ses mains, d'autre part parce que Jack détestait quand Stephen lui faisait la gueule . Non pas qu'il ait fréquemment montré un visage autre que renfrogné, même quand tout allait bien ... Mais Jack savait pertinemment que de temps en temps, quand la conjoncture des astres était favorable, Stephen était capable de sourire, et c'était trop rare pour gâcher bêtement ses chances .

''Nous pouvons prendre la mer dès que la marée nous le permettra . L'équipage achève les derniers dispositifs . Ce qui a pris le plus de temps, c'est la destitution du docteur Adams ... Au fait, on vient de me remettre ceci pour vous .''

Il s'approcha sournoisement pour remettre en mains propres un papier aux armes de la capitainerie du port, signé d'un paraphe tout simplement lyrique . Il fallait bien ça : c'était un contrat particulièrement important, et Jack en oublia même un instant qu'au départ, il souhaitait surtout accéder à la boîte . Il était franchement ravi pour son interlocuteur et de nouveau, même si on aurait pu avoir l'impression qu'il se moquait, toute personne le connaissant un peu pouvait être certaine que ce n'était pas le cas .

''Félicitations ! Vous n'êtes plus assistant, vous êtes officiellement chirurgien de marine . Essayez de ne pas le laisser tomber dans un bocal de formol, celui-là .''

A propos d'expériences douteuses ... La boîte n'était plus bien loin, et Jack se savait physiquement capable de la voler et d'empêcher Stephen de la récupérer le temps qu'il l'ouvre . Mais ce serait fort discourtois et de plus Jack croyait dur comme fer à la légende de la mygale sauteuse mangeuse d'hommes . Il se contenta donc de tapoter le paquet de l'index gauche ( celui auquel il tenait le moins ) .

''En tant que chirurgien de marine, vous êtes parfaitement en droit de pratiquer des orifices respiratoires dans une boîte de cette taille, mais vous devez alors en référer à vos supérieurs . Et sans vouloir vous vexer, il se trouve que je suis votre supérieur .''

Méfiant par nature, Stephen avait posé une main préventive sur sa boîte à l'approche de son ami. Il se saisit néanmoins de sa main libre du papier officiel qu'il lui tendait et un sourire satisfait effleura ses lèvres.

_Bien. J'aurais au moins une crédibilité officielle maintenant.

Mais son sourire s'envola alors que Jack commençait à lui poser des questions sur ce qu'il avait bien pu amener à bord. Bon, d'accord, il lui était déjà arrivé d'abuser, juste pour le plaisir d'effrayer un peu Jack... Il fallait avouer que c'était très tentant au vue de la facilité qu'il y avait à tout ça. Le marin était la proie de tellement de préjugés et de peurs infondée !...

_Pourquoi est-ce que cela vous intéresse autant ?

Stephen avait prit un air assez ennuyé à la question de son capitaine. S'il y avait bien une chose dont il avait horreur, c'était que Jack fasse jouer son rôle pour arriver à ses fins avec lui. Cela n'arrivait heureusement pas souvent, mais il savait qu'il ne pouvait rien faire contre cela...

Laissant ses précieuses neurones fonctionner à toute vitesse, Stephen cherchait une explication à lui donner qui lui laisserait les mains libres. Sans le vexer si possible, il n'était mas un monstre tout de même. Et surtout, si Jack était vexé, il y avait des chances qu'il cherche la petite bête. Où qu'il se montre distant, ce qui n'était pas habituel pour lui... Et qui avait tendance à mettre Stephen particulièrement mal à l'aise.

_Si je vous dis que ce n'est pas dangereux, pour vous ou pour qui que ce soit, vous me croirez sur parole ?

Bon.... il s'aventurait sur une piste glissante, il en était particulièrement conscient. Mais il misait tout sur la confiance que Jack pouvait lui accorder. Il avait eu beaucoup de mal à s'y faire au départ, à cette joie de vivre et à cette confiance que Jack accordait sans vraiment de contrepartie, mais il fallait bien que ça serve à quelque chose... Surtout qu'il faisait quand même des efforts pour ne pas se mettre le capitaine à dos. Et ce n'était même pas parce que c'était son supérieur...

Pourquoi ? Bonne question . Jack en resta bouche bée . Pourquoi se méfier des bagages d'un homme qui affectionne la compagnie des scorpions et des pieuvres plus que celle de ses propres semblables, je vous le demande ? De plus, pour employer pareils arguments, il fallait vraiment que Stephen n'en ait aucun autre . D'un autre côté, Jack était en veine de patience . Arriver à donner à Stephen quelque chose qui lui plaise vraiment était un exploit qui pouvait le mettre de bonne humeur pour toute la journée . Et il savait ce que signifiait une vraie paye et un travail décent, même dans l'armée, pour celui qu'il avait rencontré dans un état de misère avancé . A vrai dire il attendait ce jour depuis un bout de temps, et ne comptait pas le ternir d'une dispute . Autant dire qu'il marchait sur des oeufs : Stephen est toujours plus ou moins au bord de la dispute .

Il écouta attentivement sa piètre défense, qui à vrai dire n'en était pas une mais un appel à la clémence du jury . Dans le fond, cet habile escrimeur qu'était son interlocuteur avait frappé assez juste . Les grands principes de Jack, qui il est vrai frôlaient parfois le statut de préjugé, comportaient tout un tome sur les devoirs de l'amitié et Stephen était plus ou moins le seul ami qu'il ait à bord de cette coquille de noix qui était sa demeure pour une durée indéterminée - jusqu'à ce qu'elle sombre, probablement . Immédiatement, il eut la tentation de faire son plus grand sourire et de répondre par l'affirmative la plus inconditionnelle . N'empêche que le serpent lui était resté en travers de la gorge, et l'empêcha au dernier moment de donner son autorisation sans poser davantage de questions .

''Le serpent n'était pas dangereux, cela n'empêche que si j'avais été prévenu de vos intentions le concernant j'aurais interdit sa présence,'' répliqua-t-il sans dire oui ni non, avec ce qui s'approchait le plus chez lui d'un sourire malin . A jouer sur les mots avec Stephen il avait perdu d'avance, mais si il tenait tant que ça à son infernal paquet il n'avait qu'à le défendre . ''Je ne vous demande pas de jeter cette chose à la mer, simplement de m'informer des détails de sa nature . Vous reconnaîtrez sans difficultés que c'est à moi de prendre la décision finale, nous sommes sur mon navire et dans ma cabine pas vrai ?''

Ils avaient pris l'habitude de considérer cet espace comme appartenant indifféremment à l'un ou à l'autre suivant celui que ça arrangeait . Jack jouait donc mauvaise foi pour mauvaise foi, en tenant compte du fait qu'à l'origine, on appelait effectivement cette pièce la cabine du capitaine .

Stephen se renfrogna un peu plus. Il n'aimait pas du tout, mais alors là pas du tout quand Jack lui sortait ce genre de phrases. Il avait entièrement raison, et c'était cela qui énervait le plus Stephen. Il ne pouvait lui répliquer sur le même plan sans se montrer d'une mauvaise fois exemplaire. Soit, il était souvent de mauvaise fois, mais seulement quand ça ne se verrait pas trop.

Il s'éloigna d'un pas de Jack, tirant vers lui l'objet de leur désaccord discrètement pour ne pas que son capitaine, comme il se plaisait à lui rappeler, ne puisse s'en saisir sans qu'il ne puisse l'en empêcher.

_Je pensez que vous auriez un peu plus confiance en moi, Jack...

Il prit un air légèrement pincé, réfléchissant à toute allure à d'autres arguments. Non, Jack ne serait certainement pas conciliant s'il savait réellement ce qui se trouvait dans cette boîte. Il fallait donc qu'il arrive à l'apater autrement. Et puis c'était assez vexant que Jack se refuse de simplement le croire.

Bon, si Stephen avait été honnête avec lui-même, il devait bien avouer que là, en l'occurrence, il aurait tort de lui faire confiance... Mais Stephen se refusait de laisser son petit protégé à la merci de Jack qui ne saurait l'apprécier à sa juste valeur.

_Je peux vous garantir, que ce n'est ni un fauve, ni un reptile, ni un quelconque insecte, et qu'en aucune matière il ne s'en prendra à l'homme. Cela vous suffit-il ou vais-je me voir obliger de retracer toute sa classification et sa généalogie ?

Le ton était incisif et ironique. Stephen se tenait bien droit, comme s'il se trouvait parfaitement dans son bon droit. Jack n'abandonnerait sans aucun doute pas là, mais il finirait bien par gagner la partie.

Bien, il l'aurait voulu . Jack ne jouerait pas à la bagarre pour une simple boîte, pas si grande d'ailleurs - mais il avait appris à se méfier des récipients les plus insignifiants . Non, il allait le laisser emporter tout ce qui lui plairait, mais qu'il se produise un seul incident pendant la traversée à cause de ce petit protégé mystérieux, et il finirait à la mer ou en ragoût si Killick connaissait la recette exotique correspondante . C'est à dire, l'occupant de la boîte, pas Stephen . Stephen assumerait son erreur comme un grand garçon et n'aurait pas intérêt à protester .

''C'est parfait, c'est tout ce que je voulais savoir . Je ne vais pas pousser la sévérité jusqu'à vous demander d'ouvrir vos paquets, je ne suis pas douanier . Ma mission est plus complexe que cela, et je sais que vos agissements ne risquent en aucun cas de la compromettre .''

Sur un sourire, il tourna les talons et abandonna la cabine à Stephen, espérant silencieusement qu'il n'avait pas lancé à tort sa dernière phrase . Il lui laissait suffisamment de temps pour renoncer à son projet secret si celui-ci mettait réellement en péril le fragile équilibre qui maintenait ensemble le petit univers formé par l'équipage et le navire, comme disait Jack . Il ne lui restait plus qu'à se persuader que même quand un animal à étudier entrait en ligne de compte, Stephen gardait suffisamment de lucidité pour prendre tous ces éléments en considération ...

Une fois sur le pont, il fit passer le mot afin que les maîtres de manoeuvre avertissent les navires voisins, puis procéda au départ, une fois achevées les transactions de dernière minute avec le quai envahi de cette foule hétéroclite propre aux îles de commerce . Il suivait le bastinguage en surveillant l'ensemble d'un oeil distrait, prêt à fixer son attention sur le premier détail qui clocherait ; soudain une ombrelle sortit de la foule et une main gantée de blanc agita une fleur rouge ... Jack s'immobilisa et salua discrètement d'un signe de tête la demoiselle qui lui adressait cet adieu pour le moins enjoué . Il avait le chic pour rencontrer dans chaque port fréquenté une fille adepte comme lui du ''quelques ébats délicieux, deux trois jours puis adieu, on s'aime et on se quitte''. Mais aucune conversation n'était possible ; on retirait déjà les passerelles . La masse sombre de l'Oyster Shell se détacha de la pierre blanche du quai, recula dans un remous d'eau sale et se dirigea vers la sortie du port ...

( en mer )